Dans le monde professionnel résident certaines incompréhensions fondamentales quant à la prévention du risque routier.
- La première est de croire qu’il s’agit principalement d’une question de compétence ou de bonne volonté des conducteurs,
- La seconde est de considérer qu’il s’agit d’un sujet spécifique ne relevant pas de la stratégie de l’entreprise,
- La troisième est de penser que la couverture du risque est une solution suffisante et pérenne.
Nombre de chefs d’entreprise que nous rencontrons attendent principalement du service prévention interne ou du prestataire choisi pour réduire la sinistralité, qu’ils mettent en œuvre des actions de sensibilisation, de communication voir de formation à destination des conducteurs.
J’entends par cela que le dirigeant considère que la cause principale et première de la sinistralité est le manque de compétence ou la négligence des conducteurs.
Véhicules abîmés de façon occulte, perte de contrôle, heurts sur des corps fixes, chocs avant semblent directement être les conséquences de cela. L’origine étant découverte, il ne suffit alors que de donner cette compétence ou de lutter contre la négligence pour que la situation change durablement.
C’est bien entendu une impasse …
Il y a quelques années en arrière, j’ai dû analyser les statistiques sinistres de 2 PME d’environ 500 personnes qui avaient des caractéristiques communes : les clients étaient les mêmes, les implantations similaires, les flottes comparables et le profil des conducteurs assurant les livraisons tout à fait identiques.
Pourtant, la première héritait d’une sinistralité avec une fréquence moyenne alors que la seconde avait une fréquence très élevée.
Mes analyses de données achevées, j’ai de nombreuses interrogations que j’entends résoudre lors du diagnostic sur site.
Si les données chiffrées permettent d’obtenir des rapports d’étonnement, elles ne peuvent jamais fournir les raisons qui ont conduit à telle ou telle sinistralité.
Le résultat du diagnostic est sans appel et c’est dans l’organisation mise en place pour répondre à l’attente du client que l’on trouve l’origine de sinistralités si différentes.
La première entreprise, soucieuse de servir ses clients du mieux possible, a mis en place un système de livraison basée sur l’autonomie des livreurs. Les secteurs sont définis, mais la tournée de livraison est effectuée en fonction des nouvelles demandes qui surgissent dans la journée directement auprès du livreur. Pour lui permettre de répondre aux besoins potentiels de ses clients, il dispose de stocks déportés et charge dans son véhicule le maximum de produits pour répondre aux besoins connus et supposés. Comme il devra facturer le client de demandes supplémentaires, il est équipé d’un ordinateur, d’une imprimante et d’un terminal de paiement. Pour augmenter son implication, il est commissionné sur les ventes additionnelles.
CONSÉQUENCES : les tournées sont variables, les véhicules sont surchargés et pour faire le plus vite possible, les vitesses sont peu respectées, ce qui donne lieur à un nombre important de PV. Enfin, on se gare un peu partout et on accroche des obstacles fixes.
La deuxième entreprise, soucieuse, aussi, de servir ses clients du mieux possible, a mis en place un système de livraison basée très différente. Elle a créé un service de dépannage pour les besoins urgents de ses clients, service centralisé qui dispatche ensuite vers des collaborateurs chargés uniquement de répondre à ces besoins. Les véhicules des livreurs sont chargés la veille au soir par au retour de leur tournée selon l’ordre inverse des livraisons prévues le lendemain. Les tournées sont optimisées et le livreur n’a pas d’autre tache que de livrer en respectant les horaires demandés par les clients. Les véhicules ne sont pas surchargés, il n’y a pas de stock déporté plus ou moins contrôlable. Maîtrisé, le déplacement de mission se déroule le plus souvent sans accrochage et il n’y a pas d’excès de vitesse.
Dans ce cas réel, il aurait été bien inutile de former les conducteurs à quelque compétence supposée oubliée ou à les engager à faire plus attention en répétant des messages à l’envie.
L’origine de la sinistralité se trouvait dans la chaîne de valeur, l’organisation pour répondre aux besoins du client pas « entre les pédales et le volant ».
Et le plus important est que l’entreprise la moins accidentogène qui a mis en place un service particulier a des coûts de fonctionnement moins importants que la première entreprise. C’est certainement contre-intuitif, mais bien réel.
On voit se dessiner dans l’exemple donné ci-avant, que les causes de la sinistralité peuvent être bien en amont de la situation de conduite. Dans le cas précédent, nous pouvons convenir que :
C’est bien dans la réponse à une attente du marché que se situe une des causes premières de la sinistralité. Plus exactement dans le choix que prend cette réponse.
Il en va de même pour de nombreux autres cas. Qu’il s’agisse de faire appel à de l’intérim pour faire face à un surcroît de travail de livraison, de rechercher le véhicule le moins coûteux au kilomètre pour limiter les coûts de mission, d’offrir des primes d’objectifs ou la facilité de partir sitôt la tournée faite, toutes ces décisions relèvent de la direction générale et doivent être en accord avec les stratégies de l’entreprise.
Stratégie commerciale, RH, Achats, management etc.
Or les choix qui sont faits par les dirigeants sont rarement éclairés par leurs conséquences en matière de sécurité, ou de QVT, encore moins en matière de surcoûts liés à la sinistralité.
Pire, un service commercial a en général pour mission de développer son marché et d’assurer la croissance de l’entreprise. Très logiquement les responsables commerciaux sont chalengés sur leurs résultats en regard des objectifs opérationnels qui leur sont donnés : CA, marge, acquisition de marché, etc. Les responsables des achats est attendu sur les objectifs de sélection des fournisseurs et de maîtrise des coûts d’acquisition des compétences ou des ressources, ainsi de suite. Rares encore sont les directions qui déploient avec les objectifs opérationnels de leurs cadres, des objectifs en matière de réduction d’exposition au risque ou de réduction de la sinistralité …
Ceci rendra complexe voire impossible la mise en place d’actions globales durables en vue de réduire la sinistralité.
Alain Wucher – Président du GP2R